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MN 18 - madhupiṇḍika sutta

Le récit du gâteau de miel

Alors que Maître Gotama était sur le point de revenir à Kapilavatthu, sa ville d’origine, après sa pleine Réalisation, son cousin et rival Devadatta avait affirmé aux Sakyas que le Bienheureux était un ennemi de leur clan. Il accusait Maître Gotama d’avoir abandonné sa femme, Baddhakaccanā – qui était aussi la sœur de Devadatta –, pour mener la vie errante des renonçants. Devadatta lui reprochait aussi de l’avoir sévèrement blâmé en public et de ne jamais le regarder dans les yeux. Une partie des Sakyas avait pris parti pour Devadatta. L’un d’entre eux était surnommé Daṇḍapāṇi, Canne-en-main, parce qu’il collectionnait les cannes et qu’il aimait se promener en les exhibant. Ce jeune homme allait visiter les sites naturels et les parcs — une sorte de touriste. Sa rencontre dans la Grande Forêt avec le Bienheureux fut toute fortuite. Cette Grande Forêt, qui s’étendait jusqu’à l’Himalaya, était une forêt primaire par opposition à celle de Vésali dont une partie avait été plantée par l’homme.

Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Bienheureux séjournait chez les Sakyas, dans le parc Nigrodha qui est proche de Kapilavatthu.

Un matin le Bienheureux s’habilla de bonne heure, prit son bol et sa robe et se rendit à Kapilavatthu pour y faire sa collecte de nourriture. Quand il eut parcouru Kapilavatthu en faisant sa collecte de nourriture et fini son repas, en revenant de sa collecte, il s’approcha de la Grande Forêt pour y passer la journée. Il s’y enfonça et s’assit pour toute la journée au pied d’un jeune arbre vilva.

Or le Sakya Canne-en-main qui marchait beaucoup et se déplaçait constamment, s’approcha lui aussi de la grande forêt, y pénétra et parvint auprès du jeune arbre vilva au pied duquel se trouvait le Bienheureux. Une fois là, il échangea des paroles courtoises avec le Bienheureux et conclut leur dialogue aimable et mémorable en restant convenablement debout, appuyé sur sa canne(*).

Canne-en-main posa les deux mains sur sa canne et appuya le menton sur le dos de ses mains dans une attitude fréquente chez les vachers. Tout en restant poli, il marquait par cette attitude désinvolte l’hostilité qu’il nourrissait à l’égard du Bienheureux. Et il posa une question de pure forme sans attendre de réponse intéressante. Le Bienheureux lui répondit par une formule énigmatique.

Ainsi debout, le Sakya Canne-en-main demanda au Bienheureux :

— Que dit l’ascète ? Que proclame-t-il ?

— Il dit, mon ami, que dans ce monde avec ses deva, ses Māras et ses brahmā, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, il ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence. Voilà ce que je dis, mon ami, voilà ce que je proclame.

À ces mots, Canne-en-main hocha la tête, tira la langue et trois rides de perplexité se creusèrent sur son front. Puis il partit en s’aidant de sa canne.


Vers le soir le Bienheureux sortit de la solitude et retourna au parc Nigrodha. Dès son arrivée il s’assit sur la place préparée à son intention. Une fois bien assis, le Bienheureux dit aux moines :

— Je me suis habillé de bonne heure, moines, j’ai pris mon bol et ma robe et me suis rendu à Kapilavatthu pour y recevoir ma nourriture… En revenant de ma collecte, je me suis approché de la Grande Forêt pour y passer la journée, je m’y suis enfoncé et me suis assis pour toute la journée au pied d’un jeune arbre vilva. Or le Sakya Canne-en-main… parvint auprès du jeune arbre vilva au pied duquel je me trouvais… et me demanda : « Que dit l’ascète ? Que proclame-t-il ? » Je lui répondis : « Il dit, mon ami, que dans ce monde avec ses deva, ses Māras et ses brahmā, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, il ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence. Voilà ce que je dis, mon ami, voilà ce que je proclame. » À ces mots, Canne-en-main hocha la tête, tira la langue et trois rides de perplexité se creusèrent sur son front. Puis il partit en s’aidant de sa canne.

Ainsi parla le Bienheureux.

Un moine lui demanda :

— Pourquoi le Bienheureux dit-il que, dans ce monde avec ses deva, ses Māras, ses brahmā, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, le Bienheureux ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le Bienheureux, ce brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence ?

— Quand on ne trouve, moine, rien d’attirant, rien qui ne puisse être appréhendé, rien de saisissable dans ce qui cause les perceptions souillées susceptibles d’envahir l’homme, c’est la fin de la tendance à s’attacher, la fin de la tendance à rejeter, la fin de la tendance à croire, la fin de la tendance à hésiter, la fin de la tendance à se surestimer, la fin de la tendance à s’attacher à l’existence, la fin de la tendance à s’aveugler, c’est la fin de l’envie de prendre le bâton ou de dégainer l’épée, la fin des querelles, des affrontements, des disputes, des accusations, des calomnies et des sarcasmes. Là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses.

Ainsi parla le Bienheureux. Ayant ainsi parlé, le Bien-allé se leva et rentra dans son logis.


Le Bienheureux venait de partir quand les moines se dirent :

— Le Bienheureux s’est levé, mes amis, et il est rentré dans son logis sans avoir détaillé le sens de cette déclaration qu’il n’a formulée qu’en résumé : « Quand on ne trouve rien d’attirant… là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses ». Qui pourrait nous détailler le sens de ce propos ?

Les moines eurent alors cette idée :

— Le Vénérable Mahā Kaccāna est loué par le Maître, il est estimé par ses sages compagnons dans la vie sainte, il serait capable de nous détailler le sens de cette déclaration que le Bienheureux n’a formulé qu’en bref sans la détailler. Allons donc voir le Vénérable Mahā Kaccāna et demandons-lui de nous expliquer cette parole.

Les moines se rendirent donc auprès du Vénérable Mahā Kaccāna. Une fois là, ils échangèrent des paroles courtoises avec le Vénérable Mahā Kaccāna et conclurent leur dialogue aimable et mémorable en s’asseyant convenablement. Une fois bien assis, les moines dirent au Vénérable Mahā Kaccāna :

— Ami Kaccāna, le Bienheureux s’est levé et il est rentré dans son logis sans nous avoir détaillé le sens de cette déclaration qu’il n’a formulée qu’en bref : « Quand on ne trouve rien d’attirant… là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses ». Le Bienheureux venait de partir quand nous nous sommes demandés : « Le Bienheureux est parti sans avoir détaillé ce propos. Qui pourrait nous en détailler le sens ? » Nous avons alors pensé : « Le Vénérable Mahā Kaccāna… demandons-lui de nous expliquer cette formule. » Que le Vénérable Mahā Kaccāna veuille bien nous expliquer maintenant cet énoncé.

— Les vénérables, mes amis, se sont conduits comme des hommes qui ont besoin de moelle d’arbre, qui en cherchent, qui vont à sa recherche, mais qui ignorent la racine et le tronc d’un grand arbre contenant une telle moelle et qui espèrent la trouver dans les branches et les feuilles(*). Car lorsque vous étiez en présence du Maître, vous l’avez laissé partir et vous avez pensé à nous demander le sens de cette expression.

Certains arbres comme le sureau contiennent de la moelle dans leur tronc et dans leurs racines, mais non dans leurs branches.

Or, mes amis, le Bienheureux connaît ce qu’il faut connaître et voit ce qu’il faut voir, il est l’œil, il est la connaissance, il est le Dhamma, il est Brahmā, il parle et il agit, il guide vers le But ultime et procure l’Immortalité, il est le Maître du Dhamma et le Tathāgata. Il y eut ce moment où vous auriez pu demander le sens au Bienheureux lui-même et où vous auriez pu retenir ce sens comme le Bienheureux vous l’aurait expliqué.

— En effet, ami Kaccāna, le Bienheureux connaît ce qu’il faut connaître et voit ce qu’il faut voir, il est l’œil, il est la connaissance, il est le Dhamma, il est Brahmā, il parle et il agit, il guide vers le But ultime et procure l’Immortalité, il est le Maître du Dhamma et le Tathāgata. Et il y eut ce moment où nous aurions pu demander le sens au Bienheureux lui-même et le retenir comme le Bienheureux nous l’aurait expliqué. Mais le Vénérable Mahā Kaccāna est loué par le Maître, il est estimé par ses sages compagnons dans la vie sainte, il est capable de nous détailler le sens de cette parole que le Bienheureux n’a formulée qu’en bref sans la détailler. Que le Vénérable Mahā Kaccāna veuille bien nous expliquer maintenant cet énoncé si cela ne lui pèse pas(*).

Si nos demandes réitérées ne l’importunent pas et si le fait d’abandonner temporairement ses propres disciples pour nous instruire, nous qui pourrions ne pas bien comprendre, ne constitue pas une gêne.

— Alors, mes amis, écoutez bien et prêtez attention, je vais parler.

— Bien, mon ami, lui répondirent les moines.

Et le Vénérable Mahā Kaccāna leur dit ceci :

— Voilà, mes amis, comment je comprends le sens détaillé de ce propos que le Bienheureux n’a formulé qu’en bref sans le détailler :

« À cause de l’œil (faculté de voir) et d’un objet visible se produit une conscience oculaire (conscience de l’objet vu), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact, un ressenti (sukha, dukkha ou adukkhamasukha). Ce qu’on ressent, on le perçoit. Ce qu’on perçoit, on le saisit mentalement. Ce qu’on saisit mentalement, on le développe(*). Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des objets visibles passés, futurs ou présents perceptibles par l’œil.

Le contact, le ressenti et la perception sont concomitants avec la conscience oculaire. La saisie mentale se produit à l’instant suivant, et le développement lors des impulsions (Visud XIV 117).

À cause de l’oreille (faculté d’entendre) et d’un son se produit une conscience auriculaire (conscience du son entendu), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des sons passés, futurs ou présents perceptibles par l’oreille.

À cause du nez (faculté de sentir les odeurs) et d’une odeur se produit une conscience nasale (conscience de l’odeur sentie), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des odeurs passées, futures ou présentes perceptibles par le nez.

À cause de la langue (faculté de sentir les saveurs) et d’une saveur se produit une conscience nasale (conscience de la saveur goûtée), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des saveurs passées, futures ou présentes perceptibles par la langue.

À cause du corps (faculté de sentir les touchers) et d’un toucher (extérieur ou intérieur) se produit une conscience corporelle (conscience du toucher ressenti), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des touchers passés, futurs ou présents perceptibles par le corps.

À cause de la faculté de connaître et d’une chose connaissable se produit une conscience mentale (conscience de la chose connaissable), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des objets passés, futurs ou présents perceptibles par la faculté de connaître.

Quand il y a, mes amis, à la fois l’œil, un objet visible et une conscience oculaire, il est possible de discerner le contact. Si le contact est reconnu, il est possible de discerner le ressenti. Le ressenti étant reconnu, il est possible de discerner la perception. La perception (saññā) étant reconnue, il est possible de discerner la saisie mentale. La saisie mentale étant reconnue, il est possible de reconnaître l’envahissement par diverses perceptions souillées.

Quand il y a à la fois l’oreille, un son et une conscience auriculaire…

Quand il y a à la fois le nez, une odeur et une conscience nasale…

Quand il y a à la fois la langue, une saveur et une conscience linguale…

Quand il y a à la fois le corps, un toucher et une conscience corporelle…

Quand il y a à la fois la faculté de connaître, une chose connaissable et une conscience mentale…

Mais en revanche, mes amis, quand il n’y a pas d’œil, pas d’objet visible ou pas de conscience oculaire, il n’est pas possible de discerner un contact. Si le contact n’est pas reconnu, il n’est pas possible de discerner un ressenti. Si le ressenti n’est pas reconnu, il n’est pas possible de discerner une perception. Si la perception n’est pas reconnue, il n’est pas possible de discerner une saisie mentale. Et si la saisie mentale n’est pas reconnue, il n’est pas possible non plus de reconnaître l’envahissement par diverses perceptions souillées.

Quand il n’y a pas d’oreille, pas de son ou pas de conscience auriculaire…

Quand il n’y a pas de nez, pas d’odeur ou pas de conscience nasale…

Quand il n’y a pas de langue, pas de saveur ou pas de conscience linguale…

Quand il n’y a pas de corps, pas de toucher ou pas de conscience corporelle…

Quand il n’y a pas de faculté de connaître, pas de chose connaissable ou pas de conscience mentale… »

Voici, mes amis, comment je comprends le sens détaillé de l’expression que le Bienheureux n’a formulée qu’en résumé sans la détailler. Si vous le désirez, vénérables, vous pouvez aller trouver le Bienheureux, lui demander le sens et retenir celui-ci comme le Bienheureux vous l’aura expliqué.


Les moines furent satisfaits des paroles du Vénérable Kaccāna et ils s’en réjouirent. Puis ils se levèrent et allèrent voir le Bienheureux. Ils saluèrent le Bienheureux en arrivant et s’assirent convenablement. Une fois bien assis, les moines racontèrent au Bienheureux :

— Le Bienheureux s’est levé et il est rentré dans son logis sans nous avoir détaillé le sens de cette déclaration… Le Bienheureux venait de partir quand nous nous demandâmes : « …Qui pourrait nous détailler le sens de cette expression ?… Le Vénérable Mahā Kaccāna serait capable de nous expliquer le sens… » Nous nous sommes rendus auprès du Vénérable Mahā Kaccāna, nous lui avons demandé le sens et le vénérable nous l’a détaillé de telle façon en utilisant telles phrases et tels mots.

— Mahā Kaccāna est savant, moines, il est très sagace. Si vous m’aviez demandé le sens, moines, je vous l’aurais expliqué de la même façon que Mahā Kaccāna. Le sens est bien celui-ci, retenez-le ainsi.

Ainsi parla-t-il.

Alors, le Vénérable Ānanda s’adressa au Bienheureux :

— Quand un homme très affaibli par la faim, Maître, trouve un gâteau de miel, plus il le savoure, plus il lui trouve une saveur exquise et délicieuse. De même, Maître, plus un moine réfléchi et capable examine avec sagacité cet enseignement, plus il y trouve de satisfaction et plus son esprit devient clair. Comment s’appelle cet enseignement, Maître ?

— Retiens cet enseignement en accord avec tes propos, Ānanda, comme l’enseignement du gâteau de miel.

Ainsi parla le Bienheureux.

Le Vénérable Ānanda fut satisfait des paroles du Bienheureux et il s’en réjouit.

infos sur cette page

Origine : Enseignements et discussions entre Bouddha, ses disciples, ses antagonistes… (Nord de l’Inde actuelle)

Date : Ve siècle avant notre ère

Traducteur : Christian Maës

Mise à jour : 25 févr. 2011