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L’itinéraire d’un renonçant

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La magie de la réalité

Une fois, je marche longtemps, car sur le parcours, il n’y a que des petits villages, sans le moindre hébergement pour des pauvres. Ce jour-là, il pleut sans relâche, je suis donc trempé des chaussettes jusqu’aux cheveux. Au bout du jour et de mes forces, je suis sur le point d’entrer dans un tout petit village, quand j’aperçois sur une petite colline une minuscule chapelle. En parvenant dans le village, je ne vois qu’un vieux paysan bien en chair, le nez rougi par le vin, et des chats, plus farouches les uns que les autres. À mon grand désespoir, il m’annonce que la chapelle est fermée depuis fort longtemps et que personne ne sait où se trouve la clef. Il m’indique aussi qu’il n’existe aucun gîte ou abri, même payant, à des lieues à la ronde, en dehors de l’abri-bus en béton à cinquante mètres d’ici. Me précisant qu’il doit aller nourrir ses chats, il me souhaite bien bonne chance, remet sa casquette en place, et rentre chez lui, en même temps que part le jour.

La situation me paraît désespérée, car je suis mouillé jusqu’aux os, n’ayant plus le moindre vêtement au sec, le froid commence à me percer de part en part, provoquant de vifs tremblements, et la fatigue qui s’installe insidieusement ne fait qu’accentuer la torture du vent humide. Mon ventre est vide, je préfère garder les chips et les saucisses glacées au fond de mon sac pour me donner des forces le lendemain matin. Bref, une nuit blanche éprouvante s’annonce. Sur le point de me lamenter sur mon sort, je me rappelle l’objet de ce voyage : si j’effectue cette randonnée pour le moins particulière, ce n’est pas pour me jeter corps et âme dans une grande misère. C’est avant tout pour mettre pleinement en pratique cette idée comme quoi rien ne peut mal se dérouler dès l’instant qu’on demeure pur d’esprit et confiant, sans espérer, sans attendre une chose ou une autre. Cette seule pensée a le pouvoir de me réconforter vivement. Aussitôt, je me sens tout à fait tranquille, cessant de réfléchir à la suite possible des événements. Je m’installe alors sur le banc de l’abri-bus pour une petite séance de méditation assise. Ayant à peine eu le temps de faire une lente inspiration et une lente expiration, j’entends une voix qui ne m’est pas inconnue. C’est le villageois grassouillet de tout à l’heure.

« — Vous avez une pièce d’identité ?
   — Heu… oui.
   — J’peux voir ? »

Je lui tends la petite carte en plastique qui contient mes informations civiles. Après qu’il ait seulement lu mon nom (d’après la brièveté du coup d’œil), il me lance un vif signe de tête m’indiquant de le suivre. Quelques minutes après, il me présente Trombonne, son chat à la queue tordue, qu’il a trouvé abandonné et adopté depuis. J’ai la joie de pouvoir étendre mes vêtements sur des chaises, face à un gros fourneau probablement âgé d’un siècle. Il me partage son repas chaud et moi mes saucisses, puis nous allons nous coucher. Le seul lit de la maison est aussi vieux que le fourneau. Comme l’épaisse carcasse de mon hôte creuse le sommier en V, je roule inévitablement la pente ainsi créée jusqu’à son bide graisseux. J’aurais au moins bien chaud, cette nuit-là. Épuisé, je n’entends que ses premiers ronflements.

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