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La porte de sortie

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Le réveil

Ranaja jouissait merveilleusement de son sommeil jusqu’à ce que cette mouche insolente ne se mette à lui piétiner fébrilement les narines de ses pattes chatouilleuses et à lui irriter les tympans par la vibration monophonique de ses petites ailes vitreuses. Le maître laisse échapper quelques grognements, comme si l’insecte comprenait l’ordre d’aller poursuivre sa danse agaçante en d’autres lieux. Sachant qu’en plus de manquer d’habileté, une vive tape sur le nez pour essayer de la neutraliser le mettrait complètement en éveil, il s’efforce de l’ignorer. En constatant qu’il demeure conscient après cinq ou six respirations, il comprend que le bonheur de l’assoupissement n’est plus à espérer avant la nuit suivante. Le minuscule animal, dont le corsage vert brillant évoque à Ranaja les bijoux d’émeraudes qu’il a perdus aux cartes le mois dernier, revient à la charge.

À présent bien réveillé, motivé par la rage de cette vision de son bien qui lui échappe en s’envolant, il tente d’attraper la bestiole d’un geste prompt et subit. Sur le point de relâcher sa main, il perçoit avec surprise un petit bourdonnement frémir entre sa paume et sa joue. Il replie délicatement ses doigts, exalté de sentir son empêcheuse de sommeil soudainement devenue sa prisonnière. Il entrouvre sa main, en l’approchant de son œil globuleux, pour admirer son émeraude vibrante aux yeux taillés de mille facettes. Le temps d’un éclair, sa capture se glisse entre ses doigts trapus, et heurte violemment la pommette de son prédateur avant de disparaître. Quand Ranaja perçoit de nouveau le bourdonnement nargueur de sa réveilleuse, elle parcourt à une vitesse folle une trajectoire gribouillée. Son vol hystérique frôle le haut plafond orné de motifs floraux soigneusement peints, donnant l’impression d’une butineuse excitée au-dessus d’une prairie fleurie au cœur de l’été. À l’instar d’une chenille dans son cocon, le plantureux mammifère barbu est encore niché dans ses draps de fine soie d’Orient dont le délicat toucher appelle aux délices de l’endormissement. Il se sent lamentablement absorbé par un insupportable sentiment de frustration. Contrarié de débuter par un échec une journée dont la chaleur qu’il abhorre tant est déjà accablante, il gonfle d’air sa lourde carcasse en un instant et profère brusquement un jurement si terrifiant qu’il parvient à traverser les murs épais jusqu’à dresser d’effroi tous les esclaves de la maison, comme des jeunes chiens surpris par un coup de tonnerre.

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